Au
milieu du XVIe siècle, la Savoie comme le reste du monde catholique
entre dans le grand mouvement de rénovation inauguré par le Concile
de Trente. Voisine d'une France touchée par le protestantisme et
surtout Genève devenue le foyer du calvinisme, elle va constituer un
bastion du catholicisme. L'action d'ordres religieux tels les
Capucins et les Jésuites se révèle particulièrement efficace
comme celle de Saint-François de Sales (1567-1622), évêque
d'Annecy-Genève dont la spiritualité va profondément marquer la
Savoie (Introduction à la vie dévote, 1608). D'autres
prélats vont s'illustrer dans cette volonté de rénovation de
l'Église, en Tarentaise Benoit de Chevron-Vilette (1633-58),
François Amédée Millier de Challes (1658-1703) et Claude Humbert
de Rolland (1750-70), en Maurienne Pierre de Lambert (1567-91),
Charles Bobba(1619-36) et Hercule Berzetti (1657-91) grand bâtisseur.
Lors
des visites pastorales qu'ils doivent accomplir régulièrement dans
les paroisses, outre l'enquête concernant clergé et fidèles, les
évêques inspectent l'église et son mobilier et encouragent les
travaux de rénovation. Dans ce domaine les Instructions pour la
construction et l'ameublement des églises (1577) de saint
Charles Borromée, l'une des grandes figures du Concile de Trente, à
l'usage de son diocèse de Milan, vont devenir une référence
essentielle grâce en particulier aux Jésuites qui assurent la
diffusion. Depuis le choix de la nouvelle église, de préférence
isolée sur une éminence, en passant par la décoration de l'autel
jusqu'aux objets liturgiques, rien n'est omis.
Pour
une large part, les églises de Savoie semblent se conformer à ces
prescriptions témoignant de " l'aggiornamento "
concilaire, lui-même signe d'une profonde mutation des mentalités.
La spiritualité de l'âge baroque marque l'éloignement d'un Dieu
transcendant rendant de plus en plus nécessaire l'intercession des
saints et des anges qui occupent un rang prépondérant dans les
dévotions. L'art en est le fidèle reflet qui accorde la place
d'honneur au centre du retable majeur au patron de la paroisse et
multiplie les représentations d'angelots qui envahissent l'espace
comme au chœur de
l'église de Valloire ou au retable de Champagny-en-Vanoise où l'on
en a dénombré 160 !
Cependant
les directives du Concile rencontrent diverses résistances :
sur le plan politique, les ducs de Savoie font preuve d'indépendance
vis-à-vis de Rome, mais aussi le " peuple
de Dieu "
qui, attaché à de vieilles pratiques maintenant dénoncées par
l'Église, accepte mal de les abandonner et de voir le clergé
prétendre tout contrôler.
Ceci
explique la lente et tardive mise en route des chantiers de
rénovation des églises dans les années 1600.
Les
évêques doivent s'y prendre à plusieurs reprises pour obtenir que
les travaux ordonnés soient exécutés. D'une façon significative
la partie de l'édifice concernée en premier lieu par les
modifications est le chœur.
Au chevet semi-circulaire, souvent roman, est substitué un chevet
plat qui va permettre l'édification du grand retable : ainsi en
1613 à Lanslebourg, l'un des plus anciens exemples ; mais à
Landry il faut attendre 1653 pour réaliser cette première
opération. Puis c'est le reste de l'église qui est peu à peu
reconstruit : parfois les campagnes sont rapides mais souvent le
manque de moyens nécessite de les espacer. La peste de 1630 comme
les occupations étrangères rejetées que subit la Savoie
n'expliquent pas toujours ces interruptions.
L'église
de Termignon présente sans doute un cas exemplaire de cette
succession de campagnes : à l'édifice médiéval à nef unique
ont été accolées quatre chapelles aux XVe et XVIe siècles ;
vers le milieu du XVIIe siècle les deux situées au Nord sont
réunies pour constituer le départ d'un collatéral ; en 1669
l'abside semi-circulaire du chœur
est remplacée par un chevet plat sommé d'une coupole ; en 1674
ce sont les chapelles Sud qui sont réunies pour former à leur tour
un collatéral ; en 1715 la nef jusqu'alors simplement plafonnée
reçoit comme les collatéraux une voûte d'arêtes et en 1717, on
termine par l'adjonction d'un vestibule à l'Ouest, destiné là
abriter l'entrée, nécessité dans un pays où les hivers sont
rudes.
Entre
1650 et 1720 on peut constater que toutes les églises, ou presque,
de Maurienne et de Tarentaise sont en chantier et le nombre modeste
des édifices subsistant des périodes antérieures atteste
aujourd'hui l'ampleur du changement. Un nouveau style d'architecture
sur le modèle des églises romaines fait son apparition. Qu'on
adopte la nef unique ou le plan basical, on utilise systématiquement
la voûte d'arêtes. En Maurienne les nefs s'étirent en longueurs,
les chœurs sont
souvent couronnés d'une coupole ; en Tarentaise se développe
l'église par la recherche d'unité spatiale ; la hauteur des
collatéraux atteint celle de la nef, les piliers sont moins nombreux
afin de ne pas constituer un obstacle à la vue : Aime, Doucy,
Landry, Naves, Séez illustrent ce parti. L'édifice doit être
correctement ajouré : les fenêtres sont ouvertes dans les
parties hautes des murs pour dispenser le plus de lumière possible,
les vitraux colorés étant proscrits.
À
l'extérieur l'église se signale par son clocher (flèche de pierre
en Maurienne, bulbe en Tarentaise) et le portail d'entrée est
souvent le seul élément de décor. Si la façade principale est
parfois ornée d'une peinture murale, l'aspect extérieur contraste
singulièrement par sa simplicité et même sa sévérité avec la
richesse de l'intérieur. La construction est en maçonnerie, la
pierre de taille peu employée : le décor d'architecture est en
stuc, mortier de chaux et de plâtre ou parfois uniquement de plâtre.
Cette technique venue d'Italie est à l'honneur en Maurienne où se
trouvent des carrières de gypse.
Les
pilastres et le fort entablement qui divise en hauteur l'édifice
sont les seuls éléments du décor de l'architecture à l'intérieur
à l'exception de certaines églises de Mauriene (Valloire, Avrieux,
Le Bourget) où de véritables sculptures ornent le chœur.
Aussi
fait-on appel à des artistes pour la plupart originaires de la
Valésia aux confins du Piémont et de la Lombardie, pour exécuter
des peintures murales qui par leurs couleurs et leurs effets de
trompe-l'œil animent les surfaces. La majorité d'entre elles ne
remonte qu'au siècle dernier mais toutes ont été exécutées dans
la tradition des générations précédentes. Sous le décor du XIXe
siècle on a mis à jour à Villargerel un ensemble du XVIIe siècle
comprenant un retable exécuté an trompe-l'œil, avec des couleurs
vives dont la fraîcheur n'a pas été altérée, sur un fond imitant
des tentures au point de Hongrie. Cette peinture murale n'est pas
seulement décorative mais fait place aussi à l'iconographie :
elle représente souvent dans des médaillons, à la voûte, les
grands docteurs de l'Église, les évangélistes et parfois les
prophètes de l'Ancien Testament. Quant à l'abbé Damé, curé
d'Avrieux, il réalise dans les premières années du XVIIe siècle
une véritable illustration du catéchisme de Trente sur les murs de
son église et de ses chapelles.
Les
artistes qui exécutent ces œuvres
constituent de véritables dynasties où l'on se transmet de
génération en génération les savoir-faire et les modèles :
ainsi les ARTARI originaires du Tessin après avoir travaillé au
Piémont, en Val d'Aoste viennent en Tarentaise réaliser les
remarquables trompe-l'œil d'Aime, Doucy ou la Bâthie.
Mais
la pièce maîtresse du décor de l'église, celle autour de laquelle
tout s'ordonne, point d'aboutissement de la perspective de la nef,
c'est le retable. Sa réalisation a parfois coûté aussi cher que la
construction de l'église elle-même. Avec le temps il occupe une
place de plus en plus grande : les modestes supports d'image de
la Renaissance sont remplacés par par les œuvres
toujours plus monumentales qui deviennent de véritables
architectures cependant que la polychromie cède peu à peu la place
à la feuille d'or, qui finit par gagner tout l'espace comme
Termignon. Les grands retables, situés au fond du chœur,
sont conçus à l'image d'un arc de triomphe à trois arches :
dans cette division tripartite le saint patron de la paroisse occupe
la place d'honneur. Le retable du XVIIe siècle apparaît puissant et
structuré ; les colonnes cannelées droites supportent
entablement ; vers le milieu du siècle, elles sont remplacées
par les colonnes torses selon le modèle du baldaquin du Bernin
(1633) à St-Pierre de Rome : Séez ou Valloire en offrent de
beaux exemples. Le tabernacle entièrement doré est un Temple en
réduction surmonté d'un baldaquin pour l'exposition du
St-Sacrement, la présence réelle étant l'une des affirmations
essentielles du Concile de Trente. Au XVIIIe siècle la rigueur de la
composition architecturale s'atténue pour laisser place à des
œuvres plus
foisonnantes comme le retable d'Hauteville-Gondon (1732) où la
" gesticulation "
du baroque atteint son point culminant. Mais ici l'endoctrinement
n'est pas oublié : les quatre grands docteurs saint Ambroise,
saint Augustin, saint Grégoire-le-Grand et saint Jérôme sont les
« colonnes » de l'Église supportant l'entablement ;
le Mystère de l'Incarnation est illustré par la vie du Christ,
celui de la Rédemption par les instruments de la Passion, le
tabernacle proclame la présence réelle et la Trinité domine le
tout. Les retables secondaires composés d'un seul panneau sont
parfois aussi spectaculaires notamment ceux des confréries : à
Hauteville-Gondon et à Doucy (1708) les retables du Rosaire, à
Saint-Bon le retable des âmes du purgatoire (1756).
À
côté des retables il faudrait évoquer les autres éléments du
mobilier de l'église comme la chaire, le confessionnal qui prennent
une importance particulière dans la réforme tridentine.
Ces
œuvres réalisées
sous le contrôle pointilleux du clergé illustrent le savoir-faire
des sculpteurs, peintres, doreurs qui les exécutées. En Maurienne
ils sont tous enfants du pays : la dynastie des Clappier de
Bessans que l'on voit œuvrer
à partir des années 1620, Claude (1606-1684) et Jean Flandin
(1665-1701) de Termignon, Claude et Jean (1654-1734), Simon de
Bramans, Étienne Fodéré, ce dernier travaillant en Tarentaise où
les artistes sont tous " étrangés "
à la vallée. À commencer par François Cuénot, auteur d'un Livre
d'architecture (1659) dans lequel il explique la façon de
tourner une colonne torse, et Jacques Clairant auteur de retables de
Doucy, Champagny et des chaires de Conflans et Beaufort, originaires
tous deux de Franche-Comté. Il y a aussi des Savoyards ; Joseph
Frand, Claude-Antoine Marin, Fodéré, etc... mais la majorité
d'entre eux sont originaires d'Italie du Nord et particulièrement de
la Valésia : Jean-Marie Molino qui travaille à
Notre-Dame-de-la-Vie, Naves saint-Bon etJean-Baptiste Guala (Peisey,
Montgirod), Jacques-Antoine Todesco (Saint-Martin-de-Belleville),
Joseph-Marie Martel (Hauteville-Gondon, les Vernettes)... longue est
la liste.
Pendant
près de deux siècles ils vont réaliser dans chaque vallée des
centaines de retables, richesse et fierté des montagnards.
Avec
les églises il faudrait évoquer les nombreuse chapelles et
oratoires, véritables réseau quadrillant l'espace de chaque
paroisse qui en compte parfois plus de vingt. Ainsi le hameau possède
" son
église "
sur laquelle veillent jalousement les habitants qui apportent une
contribution importante à sa construction, son entretien et sa
décoration.
Organisés
ou non en Confrérie, ils gèrent si bien leur patrimoine avec une
telle volonté d'autonomie que cela n'est pas sans poser de problèmes
avec le curé.
Une
place à part doit être faite aux sanctuaires consacrés à la
Vierge qui sont des lieux de pèlerinage particulièrement
fréquentés. Situés en altitude, ils présentent une architecture
originale à plan centré : Notre-Dame de la Vie à
Saint-Martin-de-Belleville, Notre-Dame des Vernettes à
Peisey-Nancroix, Notre-Dame de Beaurevers à Montaimont...
De
l 'église paroissiale à la chapelle d'alpage en passant par
l'oratoire au bord du chemin, la piété de l'âge baroque a produit
en Savoie une multitude de représentations peintes et sculptées qui
témoignent d'une foi ancrée dans les réalités, parfois dures, du
quotidien. Les forces de la nature doivent être apaisées, domptées
par l'intervention des saints, chacun ayant sa " spécialité ".
L'Église
œuvre lentement à
l'instauration d'un royaume de la conformité en matière de foi mais
" sur le
terrain "
même si la piété est sincère, il lui faut compter avec des
résistances. Le nouvel ordre tridentin ne coïncide pas toujours
avec la vision que les montagnards ont de Dieu et de son Église.
Dominique
Payre, Conservation régionale des monuments historiques
Extrait
de Mon Patrimoine- Les chemins du baroque en Savoie-
Chapelles
et églises des vallées de Maurienne et de Tarentaise
5-7-8
décembre 1991
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