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Le francoprovençal est une belle langue. Bien que ne la parlant pas , ne la comprenant pas, je reste sensible à sa musicalité lorsque les -trop rares- occasions de l'entendre se présentent. Cette langue, vulgairement surnommée patois, parlée par mes grand-parents, m'a bercée durant mon enfance. C'est pourquoi j'ai envie de la mettre à l'honneur sur ce blog. Je mettrais en ligne petit à petit les textes qu'écrivit mon grand-père Donat et que vous connaissez déjà pour les avoir lu en français.
Histoires maintes fois racontées et publiées dans la Revue Dava Rossan-na en français et en patois sous le nom d'auteur Dona Revène – Le Marmotïn – Moulïn - Péjèy

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lundi 24 janvier 2011

Donat, ses histoires!


La vache

Après la guerre de 14, il y avait à Peisey une petite bande d'hommes qu'on appelait les "Rouges", politiciens radicaux dont plusieurs étaient revenus de Paris avec des idées avancées.
Parmi eux, un nommé Gal, très excité contre les curés. Il ne manquait pas une occasion pour le faire voir, surtout par des moqueries contre les "calotins".
Le jour de la Fête-Dieu, la procession descendait par la rue principale jusqu'au Romonard, petite place à l'entrée du village, près de la poste, où un riche " bronzier de Peisey " s'était fait construire une grande maison bourgeoise au milieu d'un grand jardin. Elle était clôturée d'un mur de pierres de taille surmonté d'une grille en fer forgé encore visible aujourd'hui, le tout de deux mètres de hauteur.
Gal avait une vache et il avait pensé de rentrer du pâture (revenir d'en champ) à l'heure où la procession arriverait sur la place pour pertuber la fête. Au moment où le curé qui portait l'ostensoir sous le dais, porté par 4 hommes et accompagné par la foule qui chantait des cantiques, arrivait sur la place, Gal arriva avec sa vache. Il la fit avancer vers le dais en lui donnant un bon coup de bâton sur le cul.
Mais la vache, affolée par tout cet attirail et choquée par le coup reçu, se détourne du dais et, chose incroyable, bondit en l'air si violemment qu'elle passa par-dessus la grille sans s'accrocher sur les pointes.
Tous les témoins, dont mon père, ont pensé à un miracle et se sont moqués de Gal qui restait là, tout penaud, en attendant que la procession remonte à l'église. Ensuite, il a appelé le gardien afin qu'il vienne ouvrir la porte en fer pour reprendre sa vache.Depuis ce moment-là, Gal ne se montrait plus en public, pour ne pas se faire lancer des quolibets, ce dont personne ne se privait...

L'éclair

Quelques années plus tard, Gal était parti avec un voisin, au mois d'août, à l'alpage de la Sevolière, au pied du Mont pourri, pour voir sa vache. Il fallait deux heures de marche pour y arriver, et il fallait surtout choisir un jour de beau temps. Tout s'était bien passé jusqu'au début de l'après-midi. De gros nuages sont apparus vers le fond de la vallée.
Nos deux compagnons ont décidé de redescendre plus vite que prévu. Ils n'avaient pas emporté d'abri. Comme il arrive souvent en montagne, le ciel s'est vite assombri et Gal s'est mis en colère en jurant.. L'orage s'approchait et ils venaient de traverser un mauvais passage sur un chemin creusé dans la roche.

Ils décident alors d'aller se mettre à l'abri sous une "barme" (petite caverne). Une fois abrités, Gal se remet à jurer, et comme s'il s'adressait à Dieu, se met à crier d'une voix forte: "Maintenant tu peux faire claquer tes fouets!"
Il venait à peine de crier ces derniers mots qu'un éclair est venu le foudroyer sans toucher son compagnon qui, apeuré, attend la fin de l'orage pour descendre en courant au village raconter le malheur et chercher d l'aide pour ramener le corps de Gal.
Bien des gens, sans le dire ouvertement, pensèrent qu'il n'en méritait pas plus... et les "Rouges" se sont calmés.
pauvre monsieur, pour manger c'est épais..."

Nouvelle boisson

Au dédut de notre siècle (le XXe), le café n'était pas connu à Peisey. Un été, un Peiserot qui vivait à Paris eut l'idée de ramener chez une cousine un peu de café en grains, ainsi qu'un moulin à café pour le moudre. Il voulait lui faire connaître et goûter cette nouvelle boisson.
Arrivé chez elle, il l'embrasse et lui dit: "Bonjour cousine, je t'apporte de beaux grains noirs et un petit moulin pour les moudre. Avec cette poudre, tu pourras faire une bonne boisson qui te donnera du courage et l'envie de chanter. Je vais te dire comment il faut la préparer.
Pendant que tu mouds les grains, mets de l'eau dans une petite marmite sur le fourneau et laisse-là bouillir. Ensuite, verse un verre de cette poudre dans l'eau bouillante. Remets le couvercle à la marmite et laisse reposer un grand moment (vingt minutes)".
Au bout de ce temps, elle prend son écuelle sur les étagères et, avec une petite louche, remplit l'écuelle de ce jus noir. Elle ajoute deux sucres, brasse un peu et se met à boire. " Je n'ai jamais bu aussi bon" dit-elle à son cousin. Et lui dit: "Je suis content que cela t'ait plu mais je vais dehors faire pipi".
Elle pense que si le jus était si bon, la poudre qui avait servi devait être meilleure et sûrement au fond de la marmite. Alors, elle vide doucement dans une casserole pour ne laisser que l'épais. Elle prend alors sa cuillère, puise au fond et porte à la bouche.
Elle fait des grimaces et crache par terre en disant: "Un si bon jus, une si bonne boisson, mais ,mon pauvre monsieur, pour manger c'est épais..."

Premier voyage en train

En 1913, le train est venu pour la première fois à Bourg-Saint-Maurice, et pour nous Peyserots, la gare était à Landry. Pour le marché le samedi ou pour une foire, les anciens voulaient aller en train pour voir cette nouvelle machine et pour aller plus vite qu'à pied. C'est pour cela que Joseph et Marguerite (60 ans bien sonnés) sont descendus de Peysei par la grand raccourci (une heure de chemin). Arrivés au village de Landry, ils demandent: "Où est la gare du train?" Une femme leur dit: "Au fond du plateau, un peu avant le pont du Péré (le pont de la Pierre), à un quart d'heure d'ici; c'est une maison toute seule." Arrivés à cette maison, ils voient une grande porte, la poussent et entrent; il y a une grande pièce et, derrière un carreau, un homme qui leur demande en patois en les voyant: "Yeu vouèdè̱vo alo?" (Où voulez-vous aller?). Joseph lui dit: "A Bourg". Le chef prépare le billet, le lui tend et lui dit: "Ça fait 10 sous."
Joseph, qui se croyait à la foire, répond: "C'est trop cher, ça ne vaut pas plus de 8 sous." "C'est le prix fixé, dit le chef, je ne peux pas faire moins. "
Joseph insiste, et le chef essie de lui faire comprendre. A ce moment, le train siffle en arrivant en gare. Joseph, surpris, crie: "Siffle, siffle pas, je ne te donne pas un sou de plus". Joseph donne 8 sous et prend le billet. Le chef leur dit: "Suivez-moi dehors." Une fois sur le quai, il leur dit: "Regardez là-bas. D'un côté c'est écrit "homme" et en face "dame". Il faut vous séparer et aller chacun de votre côté."
Ils rentre, et un petit moment après, le train démarre en faisant beaucoup de bruit. Joseph pense qu'en roulant, ça bouge tout. Au bout d'un moment, comme rien ne bougeait, il crie par-dessus la murette de séparation: "Eu, Guita, bu̱dzè-ti a tè? A mè i bu̱dzè po!" (Hé, Marguerite, ça bouge-ti, à toi? A moi ça bouge pas!".
Payer 8 sous pour aller aux WC de la gare... Joseph s'en est souvenu toute sa vie.

Visages d'autrefois

Dans mon village, près de chez nous, vivait un vieux garçon de plus de 60 ans, nommé Claude Maurice. Pour n'être pas seul, il avait trouvé dans une commune voisine une vieille fille du même âge, seule et sans famille.
Il en avait fait sa servante sans salaire; il lui fournissait le logement et la nourriture. D'un caractère simple, ils s'entendaient bien. Les jeunes du village leur avaient donné à chacun un surnom. Lui était "Saucisse", sans motif connu; elle,était la "békouui̱na" à Claude Maurice, mais souvent, ils lui disaient "Tètèt", à cause de ses gros seins comme les pis d'une vache.
Elle se fâchait lorsque quelqu'un disait de leur vache qu'elle avait une belle têtine; il fallait dire "un beau dessous".

En 1925, Claude Maurice n'avait pas voulu se faire installer l'eau et l'électricité à la maison. Il appréhendait l'inondation suite à une fuite, et l'incendie de sa maison par des fils mal isolés. Il prenait l'eau au bachal devant chez lui, et s'y débarbouillait tous les matins, hiver comme été. Pour s'éclairer, il allumait la petite lampe à pétrole nommé "kreuju". Les jeunes gens se plaisaient à venir l'agacer en l'appelant dehors. Ils disaient: "Hé! Saucisse! Tu la sors, la môme?" L'hiver, ils lui lançaient des boules de neige sur son chapeau; l'été, ils l'arrosaient avec l'eau du bachal.
Un jour, il voulut se venger,des deux fils de l'épicière, qui étaient les plus terribles. Cette femme était la fille de celle qu'il avait voulu épouser mais qui, au dernier moment, n'avait pas voulu de lui.
Il alla donc au magasin et demanda un kilo de saucisses. Surpris de sa demande, elle pèse quand même les saucisses et les lui présente en disant le prix. Claude Maurice se met à rire et lui dit: "Eh bien maintenant, donne-les à manger à tes garçons qui viennent souvent m'en réclamer!"
Tout heureux de son coup, il sortit en riant.

Les ennuis du chat de chez le "Courrier"*

Autrefois, il se passait des choses drôles que les anciens appelaient "magie".
Ma femme et moi avons été sans le vouloir témoins d'un de ces faits. Début juin 1947, nous étions installés à la Montagnette. Deux jours après, nos voisins arrivaient avec leurs bagages sur la charrette à mulet. Il y avait Alphonse, Angèle et leur fille Jeanne. Selon la coutume, le chat de la maison était dans un sac en toile de jute qu'on ouvrait à l'arrivée en premier. Jeanne ouvre le sac, mais oh! Surprise, le chat ne peut se séparer du sac, il est collé au sac par les poils du dos. Jeanne, choquée, appelle son père et sa mère.
Angèle vient et demande à Alphonse: "Qui as-tu vu en arrivant au village?" Il répond: "J'ai vu de près la femme de Jean." Angèle se doute de quelque chose et leur dit: "Rangez à la maison les bagages, en attendant que je prépare ce qu'il faut pour pour délivrer le chat et dresser cette bonne femme. Elle rentre au chalet, allume un bon feu et fait rougir le pique-feu. Une fois bien rouge, elle dit à Jeanne et à ma femme: "Tenez une le chat et l'autre le sac. Puis elle passe le fer rouge entre le sac et le dos du chat. Aussitôt le chat s'échappe, mais rien n'est roussi, ni le sac, ni les poils du dos du chat.
Angèle nous: "Demain, tâchez de voir la femme de Jean quand elle sortira de chez elle. Nous l'avons surveillée et nous avons vu qu'elle avait le visage enveloppé d'un bandeau.
Nous lui avons dmandé ce qu'elle avait et elle nous a dit: "Je me suis brûlée près du feu en tombant".
Angèle nous a dit peu après: "Espérons que la leçon sera bonne."

*Le Courrier: sobriquet de celui qui distribue les lettres.


La grande journée de l'inalpage

Le jour de l'inalpage, c'est-à-dire où nous menons les bêtes en montagne pour trois mois de vacances, il fallait se lever très tôt avnat le jour pour pouvoir partir vers les quatre heures et demie du matin de Plan-Peisey, après leur avoir tiré le lait et passé de l'huile sur l'échine.
Après une heure de marche, tout de nuit, on arrivait au village des Lanches où on nous attendait. On formait un gros troupeau d'environ cinquante vaches, et on le partageait par groupes de huit ou dix.
En général, à la pointe du jour, cinq heure du matin, on repartait et on allait sans s'arrêter jusqu'au rocher des Mendières, juste au-dessus du lac de la Plagne. C'était huit heures, le soleil était levé, on s'arrêtait pour faire manger les vaches et nous pour casser la croûte. Quand tout s'était bien "assisté", on reprenait le sentier vers le Plan de la Grasse pendant une demie-heure.
A cette date-là, le Plan de la Grasse était un grand lac avec un mètre d'eau sur un kilomètre; il fallait alors suivre l'arête jusqu'au bout: quand il y avait encore de la glace sur le lac, il arrivait que les vaches s'y dirigent, la glace cassait, et elles étaient obligées de nager un bon moment entre deux bancs de glace. Au bout du plan, on prenait une grande montée raide où il n'y avait plus de neige sur le sentier; ça allait vraiment tout doux pendant une demi-heure. Au bout de ce temps, il y avait puis la traversée du Col de la Tourne qui durait une demi-heure; c'était bien dégagé et dans les petits creux les névés* étaient durs. Au bout du col, il y avait toujours un grand névé d'à-peu-près quatre mètres de long. Si cette nuit-là c'était gelé, les vaches passaient bien, mais s'il avait fait doux, elles s'enfonçaient, et quelquefois jusqu'au ventre.
Il fallait alors leur passer une corde autour du cou et exciter le chien derrière pour les faire mordre, et on tirait avec la corde pour les aider.
Au bout du grand névé, avant de prendre la descente sur Tignes, il fallait faire passer les vaches une par une sur cinquante mètres dans une grande pente pour qu'elles ne lugent pas pas 200 mètres plus bas dans un creux. Ce mauvais passage s'appelait "la Grapillon"*. Maintenant, ils ont créé une piste de ski bien large. Après la descente de Grapillon, la terre commençait à verdir et on arrivait au chalet du berger des moutons. Ces moutons du Midi (environ deux mille) passaient l'été sur des terrains communaux.
A ce moment-là, on partageait le troupeau d'après l'alpage où chacun allait; ceux du Marais partait à gauche, ceux du Bec-Rouge tout droit en bas, ceux du Lac et des Barmes à droite.
Arrivés en bas dans le joli vallon de Tignes, nous étions bien reçu par l'alpagiste, nous cassions la croûte, nous buvions une écuellée de lait et nous nous reposions.
L'après-midi nous reprenions la montée pour revenir chez nous par le même chemin et vers les six heures nous étions à la maison.
Journée fatiguante mais agréable, et bien des choses à raconter.

*Névé:épaisseur de neige qui reste sur une petite partie de terrain où va bientôt pousser l'herbe.
*Grapillon: partie très raide de terre ou de rocher où il faut s'accrocher pour monter.



Histoires maintes fois racontées et publiées dans la Revue Dava Rossan-na en français et en patois sous le nom d'auteur Dona Revène – Le Marmotïn – Moulïn - Péjèy




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