L'hiver est long
dans la montagne. C'est la période où bêtes et gens sont limités
dans leurs activités. Au cours des mois d'hiver s'échelonnaient les
naissances à l'étable : veaux, cabris et pour certains les
petits agneaux. Il fallait donc assurer l'élevage de ces nouvelles
créatures. Chaque matin et chaque soir, il fallait fournir la
nourriture aux vaches, génisses, génissons, chèvres et mulet en
déposant la ration de foin et regain dans les crèches. C'était
aussi la traite deux fois par jour, l'apport de lait à la fromagerie
(il y en avait une par village) et suite à sa transformation en
fromage, un deuxième aller-retour à la laiterie pour en rapporter
le sous-produit, la « léto » (le petit-lait ) avec
la « bouille » à bretelles que l'on portait sur le dos.
La « léto » était précieuse car utilisée pour
préparer la pâtée du cochon et celle des volailles. Le porc
fournissait lard, viande, salaisons, boudins et les poules
apportainet les oeufs pour la maisonnée.
L'atmosphère
douillette et confortable était fournie par la chaleur animale
produite par les bêtes et l'on vivait en leur compagnie dans le même
espace dit le « plan du beuy ». Du bois en quantité
était parallèlement consommé pour la cuisine sur le fourneau à
quatre « brons » et produisait l'eau chaude pour la
toilette, la lessive, ainsi que le chauffage de la chambre commune
des parents et des enfants. Dans la ferme de la famille, la majeure
partie était occupée par le fourrage, les céréales, le cellier à
légumes et les animaux étaient prioritaires. Pour assurer le
chauffage, il fallair avoir anticipé sur deux années de bois
d'avance en réserve, de sorte à consommer celui-ci parfaitemment
sec. C'était toute une organisation de stock abrité en remise ou
bûcher. Le travail d'abattage des arbres feuillus ou résineux se
faisait à la « leuva » appelée aussi « passe-partout »
et bien sûr toujours à deux personnes. (La tronçonneuse thermique
n'était pas encore connue). L'ébranchage, écorçage, apport
jusqu'à la ferme, fendage et stockage, représentait un travail de
longue haleine et nombreuses manutentions.
Les « Anciens »
tiraient parti de tout dans la nature et étaient capables de
fabriquer leur mobilier à partir de bûches brutes... qu'ils
refendaient en long pour faire des planches ou de section plus carrée
et qu'ils ouvrageaient à la varlope ou au rabot, de sorte à obtenir
l'objet désiré. Ils savaient aussi fabriquer des récipients très
utiles tels baquets, dit « goveuy », silles, seillons
pour la traite, barattes et moules à beurre ainsi que « conques »
pour y déposer la pâtée des poules. Ils façonnaient aussi les
râteaux, les manches de faux, même leurs skis. Ils donnaient forme
à des ustensiles de cuisine tels que louches, pauches à crème,
brotettes à découper le caillé etc... L'hiver était propice pour
ramener les « billauds » à la maison ; ils les
faisaient glisser sur la neige et les tractaient grâce à la force
du mulet ou parfois du cheval. Il était procédé de la même façon
pour s'approvisionner en pierres ou en lauzes de construction, qui
étaient chargées sur le traîneau dit « lièdze ». La
bête de somme, la « hoha » était régulièrement ferrée
chez le maréchal-ferrant et l'on ajoutait des chevilles à glace aux
fers pour que la bête ne glisse pas. Le forgeron façonnait les
objets tels que « linvelles », chaînes, pics, hâches,
dont on se servait au débardage. Peut-on bien s'imaginer la rudesse
de la vie de ceux qui nous ont précédés et leur travail pénible ?
Cependant tout se passait dans la bonne humeur et l'entraide
mutuelle.
Pour la
survivance, le seigle, l'avoine, l'orge, étaient battus en cadence
et au fléau, pour en séparer le grain que l'on menait au moulin. Le
meunier était aussi le boulanger. L'orge et l'avoine destinés aux
volailles étaient déposés dans la « grande arche ». Le
seigle était réservé pour le pain. Ainsi la période hivernale
était bien occupée, soit en intérieur ou en extérieur.
Malgré toutes
ces tâches on trouvait le temps de se rencontrer en « veillées »
entre villageois, d'écouter les histoires des temps encore plus
reculés et de chanter, tout en écossant les fèves de la soupe
quotidienne. Les femmes s'affairaient à la couture, au tricotage et
au crochet et maîtrisaient très bien leur dix doigts. Elles
confectionnaient non seulement les vêtements usuels mais prenaient
aussi plaisir à créer leurs beaux atours : robes « du
coussin », tabliers et châles brodés, frontières ouvragées
(coiffes à trois pointes enserrant le front), brides de perles
tissées sur un métier ainsi que les parures blanches comme les
plastrons et les modesties tubulées.
Mais revenons aux
travaux divers qui s'étalaient tout au long de la belle saison. Plus
les beaux jours s'approchaient, plus le tas de fumier sorti de
l'étable avec la civière était volumineux. Il fallait donc penser
à l'évacuer et le déposer sur les prés. Alors le mulet était
bâté, les « batsoules » installées, puis le maître et
l 'animal se rendaient par les sentes pentues, jusqu'aux
prairies devant être fertilisées. Une fois celui-ci essoré et donc
plus léger, il était épandu sur la parcelle à la fourche. Le
printemps arrivant, il devenait temps de ratisser les taupinières et
remonter la terre des champs. Pour cela, une bande étroite, en aval
du champ cultivé, est piochée et déplacée en amont ;
toujours avec la civière. S'ensuivent les semailles, une fois les
« saints de glace » passés. Les fèves sont posées dans
la « gova » (bande en aval du champ) et recouvertes par
le premier sillon. Derrière la charrue tirée par le mulet et
maîtrisé par l'homme, les pommes de terre sont déposées dans la
raie. Après l'arrachage, le lopin était réensemencé de seigle et
la herse passée. Enfin viennent les semis plus délicats : les
légumes du potager. Toutes les cultures seront suivies attentivement
par le binage, sarclage, repiquage et les pommmes de terre seront
butées. Sous l'effet de la chaleur bienfaisante du soleil, toute la
nature s'accélère. La verdure croît à vive allure. Le moment est
là pour libérer les animaux de « l'écurie » pour
qu'ils puissent se repaître d'herbe tendre. Nos ancêtres
maîtrisaient la gestion des pâturages selon la pousse. Cette
gestion intelligente engendrait le « tramage »,
c'est-à-dire le déplacement des personnes et des bêtes dans les
« montagnettes », lieux de passage momentané pour
consommer la couverture végétale. Ainsi nos prédécesseurs avaient
plusieurs haltes dans les « arpaettes » situées
différemment géographiquement sur le territoire. Nous savons que
ces possessions leur ont été transmises de génération en
génération et en différents endroits car elles provenaient
généralement des deux familles du couple exploitant. Se trouvaient
donc éparpillés des parcelles dans les lieudits tels que : Les
Lanches, Le Freiney, Les Accoulés (ou Vieux Plan-Peisey) et Les
Rêches, en ce qui concerne la famille dites des « Marmottïn »
(Silvin). Pour d'autres, autres répartitions, dans d'autres lieux
selon les successions et le partage des biens parentaux. La terre
était un bien sacré et il était entretenu avec un grand soin car
indispensable et vital. Lorsque tous les lopins herbeux réservés
pour être broutés avaient été parcourus par le troupeau, alors
s'approchait le moment de se séparer pour une durée de cent jours,
des vaches productives et des bovins plus jeunes. L'inalpage en
altitude supérieure était évident car se présentait alors la
période de la fenaison.
La vie paysanne
de nos parents était pénible et en particulier l'été. De bon
matin nous partions pour le fauchage dans la pente toujours. La
fauche se faisait au « dail ». A mesure de la
progression, des « andins » étaient formés. Nous
devions être bien chaussés pour nous cramponner à la pente et ne
pas dérapper sur l'outil. Si par exemple nous étions quatre
faucheurs, nous pouvions abattre environ trois « cartanées »
dans une matinée, soit 750m2 de 6 à 10 heures du matin. Ensuite
nous revenions sur la parcelle fauchée la veille pour en
« rebrasser » le foin, c'est-à-dire pour en exposer la
face interne au soleil pour un bon séchage. L'après-midi, une fois
que le soleil avait bien asséché le fourrage, nous
l' « arouèllions » (nous formions des rouleaux) et
faisions des « brassées ». Il fallait cinq brassées
pour confectionner un « barillon » de 30 à 35 kilos et
13 barillons pour avoir le chargement d'une charetée. Dans les prés
pentus, il y avait des couloirs réservés au traînage, appelés
« djets ». Une fois rendu au fenil, le foin était libéré
des « trapons » et empillé en « tavaillon »,
et s'il nécessitait un séchage supplémentaire, il était monté au
« solan » et étalé. Il faut compter 70 barillons de
foin et 20 de refoin (2ème coupe) pour l'hiverne d'une vache. Nos
parents n'ont jamais eu plus de six laitières, rarement sept, à
l'écurie. Le cheptel se montait à 11 ou 12 bêtes (jeunes compris)
tout le travail acharné de nos parents assurait péniblement le
nécessaire vital à leur progéniture. Nous avons souvenir d'avoir
vu notre mère aux larmes, alors que le résultat escompté du
travail produit, satisfait tout juste aux besions. Alors, il fallait
se résoudre à vendre une tête de bétail, à la Foire de la Croix
(début septembre) à Bourg-Saint-Maurice. L'argent produit par la
vente d'un animal faisait momentanément face à l'achat de galoches
pour les enfants, le trousseau scolaire, l'acquittement des sommes
locatives de prairies louées à d'autres propriétaires (souvent des
peiserots de Paris, non exploitants) et le règlement d'arrièrés à
crédits.
Néanmoins, les
trois enfants rapprochés que nous étions : Pascal, Claire et
moi-même Edouard, nous n'avons pas manqué du nécessaire. Nous
avions respectivement 17, 13 et 15 ans lorsque naquit le « petit
dernier » Norbert, sur un délai de quelques années encore nos
parents peinèrent à faire le tour.
A Notre-Dame
d'Août (15 Août), le seigle arrivait à maturité et était coupé
à la faucille. Les margots (petites gerbes liées d'une tresse de
paille) formaient des « kroupyies » (plus hautes gerbes,
composées de quatre margots). Une « kroupya »
ressemblait à un être à quatre pattes écartées pour une bonne
assise et une tête formée par l'ensemble des épis des faisant doré
au soleil. Après quelques jours d'exposition solaire, les gerbes
étaient insérées dans le « payé » (drapet en toile de
jute), lui-même disposé sur le « trapon » avec tous les
épis au centre pour ne pas perdre les grains. Une fois rentré à la
grange, le battage était entrepris. Les gerbes étaient déliées
ainsi que les margots et étalés sur l'aire de battage, le « suèl',
parfaitement propre. Le battage se faisait manuellement à plusieurs
hommes, en cadence et au fléau principalement pour l'orge et
l'avoine. Pour le seigle et le froment, céréale noble et en
quantité supérieure, arriva vers 1950, la bateuse électrique.
Cette machine était possédée en copropriété à plusieurs (6 à 8
personnes). Tractée sur les routes et par un animal de trait, cheval
ou mulet, elle était déplacée de grange en grange ainsi que les
co-moissonneurs. Les céréales diverses étaient stockées dans la
« grande arche » et par compartiments respectifs.
En septembre,
voilà la descente des alpages et de nouveau le passage des animaux
dans les pâtures des « arpettes », nécessitant le
gardiennage, alors que parallèlement, l'arrachage des pommes de
terre se présente aux champs.
Octobre apporte
avec lui les feuilles mortes que l'on ramasse pour les chèvres. A la
Toussaint, tous les légumes du potager sont rentrés. Souvent, la
première neige tombe vers le 10 novembre. A ce moment là, toutes
les vaches prêtes au veau sont rentrées à l'écurie. La mule doit
alors tracter l'étrave pour maintenir la route de terre de la
dernière arpette ouverte. Le dernier « tramage »
(transhumance) s'effectue jusqu'au chef-lieu : le village de
résidence d'hiver. Ce dernier déménagement de l'année se fait
bien souvent en traîneau. Les petits veaux nouveaux -nés sont
transportés sur un lit de paille, sur la 'lièdze » enfermés
dans une caisse retournée sur eux.
Edouard Silvin, Peisey-Nancroix (Savoie), 2011©
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