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Le francoprovençal est une belle langue. Bien que ne la parlant pas , ne la comprenant pas, je reste sensible à sa musicalité lorsque les -trop rares- occasions de l'entendre se présentent. Cette langue, vulgairement surnommée patois, parlée par mes grand-parents, m'a bercée durant mon enfance. C'est pourquoi j'ai envie de la mettre à l'honneur sur ce blog. Je mettrais en ligne petit à petit les textes qu'écrivit mon grand-père Donat et que vous connaissez déjà pour les avoir lu en français.
Histoires maintes fois racontées et publiées dans la Revue Dava Rossan-na en français et en patois sous le nom d'auteur Dona Revène – Le Marmotïn – Moulïn - Péjèy

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dimanche 22 avril 2012

Une vie de paysan


L'hiver est long dans la montagne. C'est la période où bêtes et gens sont limités dans leurs activités. Au cours des mois d'hiver s'échelonnaient les naissances à l'étable : veaux, cabris et pour certains les petits agneaux. Il fallait donc assurer l'élevage de ces nouvelles créatures. Chaque matin et chaque soir, il fallait fournir la nourriture aux vaches, génisses, génissons, chèvres et mulet en déposant la ration de foin et regain dans les crèches. C'était aussi la traite deux fois par jour, l'apport de lait à la fromagerie (il y en avait une par village) et suite à sa transformation en fromage, un deuxième aller-retour à la laiterie pour en rapporter le sous-produit, la « léto » (le petit-lait ) avec la « bouille » à bretelles que l'on portait sur le dos. La « léto » était précieuse car utilisée pour préparer la pâtée du cochon et celle des volailles. Le porc fournissait lard, viande, salaisons, boudins et les poules apportainet les oeufs pour la maisonnée.

L'atmosphère douillette et confortable était fournie par la chaleur animale produite par les bêtes et l'on vivait en leur compagnie dans le même espace dit le « plan du beuy ». Du bois en quantité était parallèlement consommé pour la cuisine sur le fourneau à quatre « brons » et produisait l'eau chaude pour la toilette, la lessive, ainsi que le chauffage de la chambre commune des parents et des enfants. Dans la ferme de la famille, la majeure partie était occupée par le fourrage, les céréales, le cellier à légumes et les animaux étaient prioritaires. Pour assurer le chauffage, il fallair avoir anticipé sur deux années de bois d'avance en réserve, de sorte à consommer celui-ci parfaitemment sec. C'était toute une organisation de stock abrité en remise ou bûcher. Le travail d'abattage des arbres feuillus ou résineux se faisait à la « leuva » appelée aussi « passe-partout » et bien sûr toujours à deux personnes. (La tronçonneuse thermique n'était pas encore connue). L'ébranchage, écorçage, apport jusqu'à la ferme, fendage et stockage, représentait un travail de longue haleine et nombreuses manutentions.

Les « Anciens » tiraient parti de tout dans la nature et étaient capables de fabriquer leur mobilier à partir de bûches brutes... qu'ils refendaient en long pour faire des planches ou de section plus carrée et qu'ils ouvrageaient à la varlope ou au rabot, de sorte à obtenir l'objet désiré. Ils savaient aussi fabriquer des récipients très utiles tels baquets, dit « goveuy », silles, seillons pour la traite, barattes et moules à beurre ainsi que « conques » pour y déposer la pâtée des poules. Ils façonnaient aussi les râteaux, les manches de faux, même leurs skis. Ils donnaient forme à des ustensiles de cuisine tels que louches, pauches à crème, brotettes à découper le caillé etc... L'hiver était propice pour ramener les « billauds » à la maison ; ils les faisaient glisser sur la neige et les tractaient grâce à la force du mulet ou parfois du cheval. Il était procédé de la même façon pour s'approvisionner en pierres ou en lauzes de construction, qui étaient chargées sur le traîneau dit « lièdze ». La bête de somme, la « hoha » était régulièrement ferrée chez le maréchal-ferrant et l'on ajoutait des chevilles à glace aux fers pour que la bête ne glisse pas. Le forgeron façonnait les objets tels que « linvelles », chaînes, pics, hâches, dont on se servait au débardage. Peut-on bien s'imaginer la rudesse de la vie de ceux qui nous ont précédés et leur travail pénible ? Cependant tout se passait dans la bonne humeur et l'entraide mutuelle.

Pour la survivance, le seigle, l'avoine, l'orge, étaient battus en cadence et au fléau, pour en séparer le grain que l'on menait au moulin. Le meunier était aussi le boulanger. L'orge et l'avoine destinés aux volailles étaient déposés dans la « grande arche ». Le seigle était réservé pour le pain. Ainsi la période hivernale était bien occupée, soit en intérieur ou en extérieur.
Malgré toutes ces tâches on trouvait le temps de se rencontrer en « veillées » entre villageois, d'écouter les histoires des temps encore plus reculés et de chanter, tout en écossant les fèves de la soupe quotidienne. Les femmes s'affairaient à la couture, au tricotage et au crochet et maîtrisaient très bien leur dix doigts. Elles confectionnaient non seulement les vêtements usuels mais prenaient aussi plaisir à créer leurs beaux atours : robes « du coussin », tabliers et châles brodés, frontières ouvragées (coiffes à trois pointes enserrant le front), brides de perles tissées sur un métier ainsi que les parures blanches comme les plastrons et les modesties tubulées.

Mais revenons aux travaux divers qui s'étalaient tout au long de la belle saison. Plus les beaux jours s'approchaient, plus le tas de fumier sorti de l'étable avec la civière était volumineux. Il fallait donc penser à l'évacuer et le déposer sur les prés. Alors le mulet était bâté, les « batsoules » installées, puis le maître et l 'animal se rendaient par les sentes pentues, jusqu'aux prairies devant être fertilisées. Une fois celui-ci essoré et donc plus léger, il était épandu sur la parcelle à la fourche. Le printemps arrivant, il devenait temps de ratisser les taupinières et remonter la terre des champs. Pour cela, une bande étroite, en aval du champ cultivé, est piochée et déplacée en amont ; toujours avec la civière. S'ensuivent les semailles, une fois les « saints de glace » passés. Les fèves sont posées dans la « gova » (bande en aval du champ) et recouvertes par le premier sillon. Derrière la charrue tirée par le mulet et maîtrisé par l'homme, les pommes de terre sont déposées dans la raie. Après l'arrachage, le lopin était réensemencé de seigle et la herse passée. Enfin viennent les semis plus délicats : les légumes du potager. Toutes les cultures seront suivies attentivement par le binage, sarclage, repiquage et les pommmes de terre seront butées. Sous l'effet de la chaleur bienfaisante du soleil, toute la nature s'accélère. La verdure croît à vive allure. Le moment est là pour libérer les animaux de « l'écurie » pour qu'ils puissent se repaître d'herbe tendre. Nos ancêtres maîtrisaient la gestion des pâturages selon la pousse. Cette gestion intelligente engendrait le « tramage », c'est-à-dire le déplacement des personnes et des bêtes dans les « montagnettes », lieux de passage momentané pour consommer la couverture végétale. Ainsi nos prédécesseurs avaient plusieurs haltes dans les « arpaettes » situées différemment géographiquement sur le territoire. Nous savons que ces possessions leur ont été transmises de génération en génération et en différents endroits car elles provenaient généralement des deux familles du couple exploitant. Se trouvaient donc éparpillés des parcelles dans les lieudits tels que : Les Lanches, Le Freiney, Les Accoulés (ou Vieux Plan-Peisey) et Les Rêches, en ce qui concerne la famille dites des « Marmottïn » (Silvin). Pour d'autres, autres répartitions, dans d'autres lieux selon les successions et le partage des biens parentaux. La terre était un bien sacré et il était entretenu avec un grand soin car indispensable et vital. Lorsque tous les lopins herbeux réservés pour être broutés avaient été parcourus par le troupeau, alors s'approchait le moment de se séparer pour une durée de cent jours, des vaches productives et des bovins plus jeunes. L'inalpage en altitude supérieure était évident car se présentait alors la période de la fenaison.

La vie paysanne de nos parents était pénible et en particulier l'été. De bon matin nous partions pour le fauchage dans la pente toujours. La fauche se faisait au « dail ». A mesure de la progression, des « andins » étaient formés. Nous devions être bien chaussés pour nous cramponner à la pente et ne pas dérapper sur l'outil. Si par exemple nous étions quatre faucheurs, nous pouvions abattre environ trois « cartanées » dans une matinée, soit 750m2 de 6 à 10 heures du matin. Ensuite nous revenions sur la parcelle fauchée la veille pour en « rebrasser » le foin, c'est-à-dire pour en exposer la face interne au soleil pour un bon séchage. L'après-midi, une fois que le soleil avait bien asséché le fourrage, nous l' « arouèllions » (nous formions des rouleaux) et faisions des « brassées ». Il fallait cinq brassées pour confectionner un « barillon » de 30 à 35 kilos et 13 barillons pour avoir le chargement d'une charetée. Dans les prés pentus, il y avait des couloirs réservés au traînage, appelés « djets ». Une fois rendu au fenil, le foin était libéré des « trapons » et empillé en « tavaillon », et s'il nécessitait un séchage supplémentaire, il était monté au « solan » et étalé. Il faut compter 70 barillons de foin et 20 de refoin (2ème coupe) pour l'hiverne d'une vache. Nos parents n'ont jamais eu plus de six laitières, rarement sept, à l'écurie. Le cheptel se montait à 11 ou 12 bêtes (jeunes compris) tout le travail acharné de nos parents assurait péniblement le nécessaire vital à leur progéniture. Nous avons souvenir d'avoir vu notre mère aux larmes, alors que le résultat escompté du travail produit, satisfait tout juste aux besions. Alors, il fallait se résoudre à vendre une tête de bétail, à la Foire de la Croix (début septembre) à Bourg-Saint-Maurice. L'argent produit par la vente d'un animal faisait momentanément face à l'achat de galoches pour les enfants, le trousseau scolaire, l'acquittement des sommes locatives de prairies louées à d'autres propriétaires (souvent des peiserots de Paris, non exploitants) et le règlement d'arrièrés à crédits.

Néanmoins, les trois enfants rapprochés que nous étions : Pascal, Claire et moi-même Edouard, nous n'avons pas manqué du nécessaire. Nous avions respectivement 17, 13 et 15 ans lorsque naquit le « petit dernier » Norbert, sur un délai de quelques années encore nos parents peinèrent à faire le tour.

A Notre-Dame d'Août (15 Août), le seigle arrivait à maturité et était coupé à la faucille. Les margots (petites gerbes liées d'une tresse de paille) formaient des « kroupyies » (plus hautes gerbes, composées de quatre margots). Une « kroupya » ressemblait à un être à quatre pattes écartées pour une bonne assise et une tête formée par l'ensemble des épis des faisant doré au soleil. Après quelques jours d'exposition solaire, les gerbes étaient insérées dans le « payé » (drapet en toile de jute), lui-même disposé sur le « trapon » avec tous les épis au centre pour ne pas perdre les grains. Une fois rentré à la grange, le battage était entrepris. Les gerbes étaient déliées ainsi que les margots et étalés sur l'aire de battage, le « suèl', parfaitement propre. Le battage se faisait manuellement à plusieurs hommes, en cadence et au fléau principalement pour l'orge et l'avoine. Pour le seigle et le froment, céréale noble et en quantité supérieure, arriva vers 1950, la bateuse électrique. Cette machine était possédée en copropriété à plusieurs (6 à 8 personnes). Tractée sur les routes et par un animal de trait, cheval ou mulet, elle était déplacée de grange en grange ainsi que les co-moissonneurs. Les céréales diverses étaient stockées dans la « grande arche » et par compartiments respectifs.

En septembre, voilà la descente des alpages et de nouveau le passage des animaux dans les pâtures des « arpettes », nécessitant le gardiennage, alors que parallèlement, l'arrachage des pommes de terre se présente aux champs.

Octobre apporte avec lui les feuilles mortes que l'on ramasse pour les chèvres. A la Toussaint, tous les légumes du potager sont rentrés. Souvent, la première neige tombe vers le 10 novembre. A ce moment là, toutes les vaches prêtes au veau sont rentrées à l'écurie. La mule doit alors tracter l'étrave pour maintenir la route de terre de la dernière arpette ouverte. Le dernier « tramage » (transhumance) s'effectue jusqu'au chef-lieu : le village de résidence d'hiver. Ce dernier déménagement de l'année se fait bien souvent en traîneau. Les petits veaux nouveaux -nés sont transportés sur un lit de paille, sur la 'lièdze » enfermés dans une caisse retournée sur eux.
Edouard Silvin, Peisey-Nancroix (Savoie), 2011©



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