Lorsque
l’alpinisme se développa en France, dans les années qui suivirent
la défaite de 1870, la Compagnie des Guides de Chamonix et celle de
Cauterets dans les Pyrénées étaient les seules à exister et à
s’administrer elles-mêmes. Pour les autres massifs, il fallut
attendre les interventions du Club Alpin Français (CAF) et de la
Société des Touristes du Dauphiné (STD), créées en 1874 et
1875. La section de Tarentaise du CAF, fondée elle aussi en 1875, ne
fut pas en retard puisque, l’année suivante, elle établissait une
première liste de montagnards susceptibles d’emmener des
voyageurs ; elle en diplôma quelques-uns dont elle garantissait
l’aptitude et installa un bureau des guides à Pralognan (Revue
« la Montagne », n°174, juillet-septembre 1924, p253).
En 1881, cette section élabora un règlement pour les guides,
porteurs et muletiers et donna les noms de onze guides diplômés et
de dix-sept autres «qui n’avaient qu’à faire leurs preuves pour
être recommandés. »
Ce
règlement comprend vingt-deux articles qui concernent les guides et
porteurs plus un vingt-troisième pour les muletiers. L’article 1
est le suivant : « Il est institué une compagnie des
guides spéciale pour la Tarentaise. Leur nomination et leur
reconnaissance sont faites par la directionde la section de
Tarentaise du Club Alpin Français. Les membres de cette section sont
chargés de veiller à l’exacte observation du règlement dans leur
circonscription. » Il apparaît clairement dans ce texte qu’il
ne s’agit pas de constituer ou de favoriser la création d’une
compagnie autonome, mais de mettre en place un réseau de guides à
la disposition de la section au sein de laquelle ceux-ci ne sont
d’ailleurs pas représentés.
Pour
devenir professionnel il faut avoir au moins 21 ans et être natif de
la Tarentaise, des vallées de Beaufort ou de Flumet, être doté
d’une constitution robuste, jouir de ses droits civils, civiques et
politiques, savoir lire et écrire, connaître les noms des cols et
des sommités de la vallée et avoir déjà fait des excursions ou
des ascensions. Les guides doivent tenir un livret paginé par la
section et posséder un piolet agréé par l’administration du
canton.
Un
tarif concerna les principales courses du secteur est fourni, les
guides et porteurs ne doivent rien exiger au-delà des prix fixés.
La journée est à six francs, la demi-journée à trois ; ces
sommes sont versées à l’occasion des marches d’approche ou de
retour ; l’ascension elle-même donne lieu à une rétribution
supplémentaire qui varie en fonction de la durée et de la
difficulté de la course. Ainsi il est demandé six francs de plus
pour l’ascension du Petit-Mont6Blanc, quinze pour l’Aiguille de
Polset ou le Dôme de Chasseforêt, et vingt francs pour la Grande
Casse ; pour cette dernière, le nombre de guides est règlementé
en fonction du nombre de personnes accompagnées.
En
1905, le CAF publie un nouveau règlement dans l’esprit du
précédent. Il fait des recommandations parfois amusantes :
« Les guides et porteurs ne peuvent fumer sans la permission
des voyageurs ; il leur est formellement interdit de se faire
accompagner par des chiens pendant la course, d’emporter des
fusils... » ou, précisions beaucoup plus importantes : »Les
guides doivent obéir aux ordres des voyageurs pourvu qu’ils ne
soient pas contraires aux règles de la prudence. Dans les lieux ou
circonstances difficiles, les guides assumeront la direction absolue
de la caravane. »
A la
même époque, le CAF décida d’inclure ses guides de Tarentaise
dans le système d’entraide et de protection qu’il avait créé à
l’intérieur de tous les massifs français. Ces secours n’étant
pas toujours suffisants, en 1934, les Pralognanais s’unirent pour
organiser une caisse complémentaire alimentée de leurs propres
deniers. Elle s’appela « Société de Secours mutuels des
Gides et Porteurs de Pralognan la Vanoise ». L’article huit
indique : « La société devra payer à ses adhérents
malades ou accidentés 20 % de leurs frais médicaux ou
pharmaceutiques ainsi qu’une indemenité journalière fixée à
trente francs ».
Cette
initiative privée des guides de Pralognan ne fut pas la seule qu’ils
entreprirent à côté de toutes celles qui avaient été instituées
par le CAF. Bien que leur organisation professionnelle, totalement
dépendante de la section de Moûtiers, continuât à fonctionner
jusqu’à la fin de la deuxième guerre mondiale, à une reprise au
moins, en 1913, exista aussi dans cette vallée du Doron un
« Syndicat des Guides et Muletiers » indépendant ;
il s’éleva notamment contre le lieu d’implantation que
préconisait Helbronner pour le refuge de Péclet-Polset.
En
ce qui concerne les effectifs, en 1906, il y avait onze guides et
porteurs à Pralognan : un Vion, des Favre et des Amiez ;
quatre au Planay : des Gromiers, Favre et Mermoz ; à
Peisey ils étaient deux : Roux et Canfin ; à Vald’Isère
ils étaient six : trois Mangard et trois Rond ; à
Champagny ils étaient deux : Tavel et Ruffier6lanche ; on
trouvait encore deux guides à Brides les Bains : Blanc-Tailleur
et Frayssard. EN 1937, la liste publiée par le CAF comprend
quatre-vingt-six noms pour la Tarentaise dont vingt-huit pour
Pralognan, seize pour Val d’Isère, neuf pour Peisey, neuf pour
Tignes, neuf pour Saint-Bon et deux pour Le Planay ; parmi
ceux-ci trente et un sont skieurs brevetés.
Tout
au nord du massif de la Vanoise, c’est entre les vallées de Tignes
et Peisey-Nancroix que le Mont-Pourri (3780m) se détache dans le
ciel. Étincelant de blancheur, dominant et fier, il compense par sa
beauté la laideur de son nom. Jusqu’à la fin du XIXème les gens
de Bourg Saint Maurice l’appelaient volontiers « Mont
Thuria » (Toponyme probablement issu d’une racine « Tur »,
infiniment respectable, vieille relique des langues anciennes, dont
on se servit longtemps dans les Alpes pour nommer les hauteurs)
tandis que ceux de Peisey le nommaient tout simplement « La
Pointe », la cime par excellence, la leur, celles qu’ils
pensaient impossible à gravir. Ils avaient bien entendu dire que des
Chamoniards y étaient parvenus, mais somme toute ils n’en avaient
pas été témoins. (Première ascension en 1862 par Michel Croz)
Quel
que fut le choix qui avait prévalu pour baptiser le plus haut sommet
de leur pays, les Peiserots et leurs voisins furent toujours de bons
montagnards. Ils le montraient en se rendant aux foires et aux
pélerinages par les cols du Palet et de la Chiaupe et même par le
Grand Col, à près de 3000m, où ils devaient passer sur un glacier.
(En particulier le 16 juillet où depuis des temps immémauriaux,
Peisey reçoit des centaines de pélerins venus de tous les environs
prier lea Vierge de Notre-Dame des Vernettes).
CANFIN
Il
est cité parmi les effectifs du CAF en 1906 à Peisey
COUTIN
Maurice : (instituteur et maire à Peisey-Nancroix)
En
1962, le bureau des guides de Pralognan qui comprenait à la fois des
guides privés et des guides du centre UNCM (ancêtre de l’UCPA)
installé à Pralognan, se donna pour président un « battant » :
Angelo Marchesi. Ce guide, que tous surnommaient « Pirate »,
comprit la nécessité de créer une compagnie regroupant l’ensemble
des guides du massif. A la suite de multiples contacts entre Tarins
et Mauriennais, en particulier en envoyant des délégations aux
différentes fêtes des guides, un regroupement se fit et donna
naissance à la Compagnie des Guides de la Vanoise. Ses statuts
furent déposés le 2 juillet 1966 à la sous-préfecture
d’Alberville, par son président Maurice Coutin (1966-1968), de
Peisey-Nancroix, homme d’expérience ayant réalisé de très
grandes courses. Les vice-présidents furent Albert Favre de
pralognan, Sylvain Mattis de Val d’Isère et Henri Filliol de
Lanslevillard. Le siège social fut fixé à Bourg Saint Maurice ;
la compagnie comptait alors une soixantaine de membres répartis dans
tous lescentres montagnards importtants de Tarentaise, de Maurienne
et du Beaufortin.
POCCARD-CHAPUIS
Joseph, Michel (1814-1892) dit « le Père Poccard »
C’est
en 1873, alors que Peisey vivait de son activité agricole et
l’exploitation hivernale de ses mines de plomb argentifère, que se
produisit un fait inattendu : un des leurs, Joseph, Michel
Poccard-Chapuis, dit plus familièrement » le Père Poccard »,
berger, ancien mineur, âgé de cinquante-neuf ans, entreprit seul
l’ascension du Mont Pourri.
Parti
de Peisey, il remonta la vallée du Ponturin jusqu’aux pâturages
des Platières. Laissant à sa droite le glacier du même nom puis
celui de Carroz, il rejoignit le contrefort ouest-sud-ouest qu’il
remonta en obliquant peu à peu vers l’est. Par un gigantesque
escalier où la roche de qualité alterne avec des bancs désagrégés,
il franchit de longues dalles, toute une série de murs verticaux et
atteignit l’arête à l’Épaule. Là, le Pourri baisse sa garde.
Dans un ultime effort, Poccard remonta la dernière pente neigeuse et
comprit tout à coup qu’il venait de réussir.
Quelles
purent être les motivations de cet homme déjà âgé pour se lancer
dans une telle aventure ? Pensait-il pouvoir y trouver une
activité lucrative ? Il ne semble pas : il lui aurait
fallu une singulière intuition sur ce que serait son avenir… Cette
ascension répondit de toute évidence à un profond désir, médité
delongues années dans les galeries obscures de la mine, de gravir
cette cime qui exerçait sur lui un irrésistible attrait.
L’exploit
ne passa pas inaperçu puisque, en 1876, des membres de la section
tarine du CAF gravissent le Mont Pourri sous la conduite de Poccard ;
aux Moûtiérains se sont joints les deux Mangard et deux Favre de
Peisey (Ferdinand et Claude-Maurice). L’ascension emprunte la voie
ouverte par le maître des lieux, celle que l’on nommera désormais
« le Chemin Poccard ».
Dans
les année qui suivirent, la notoriété aidant, il reprit souvent la
route du Pourri. Combien de voyageurs eurent la joie d’en découvrir
le sommet avec lui ? Nous ne le savons pas. Dans le brouillard
de l’oubli s’est effacée l’image de cet homme qui ressentit un
jour le désir fou de monter « là-haut » et le réalisa.
ROUX
Jean :
Né
le 9 octobre 1864 à Valezan sur Bellentre, il est le fils de
François Roux (†1866) et
Félicité Sylvestre (1836 – 1901). Il se marie le 27 octobre 1874,
à Bellentre, avec Albine Bibiane Ducloz (°1875). Installé à
Peisey-nancroix comme Maréchal-ferrand et forgeron, le couple aura 6
enfants : mathilde, Lucien, Justin, Marie Aline et Joséphine.
Il est cité parmi les
effectifs du CAF en 1906 à Peisey. Il
décède au hameau de plan-peisey, le 19 octobre 1936. Sur la façade
de la maison familiale au hameau de Moulin, une plaque est opposée
sur laquelle nous pouvons lire : Jean
Roux, 1864-1936, 1er
guide de haute Montagne de Peisey-nancroix.
Ascension
de quelques sommets de Peisey :
Jean-Maurice
(1829-1928) et Victor Mangard(1850-1912) furent les premiers guides
de La Val de Tignes, l’actuel Val d’Isère. « guides par
accident et chasseurs de chamois par profession, excessivement
solides sur la neige, admirables d’énergie et de dévouement…
agiles comme des chamois, guides parfaits auxquels on peut confier sa
vie et que je placerais au premier rang si leur éducation de guide
était unpeu plus complète. Voilà ce que sont les deux mangard du
fornet, ou du moins ce qu’ils m’ont paru être, et je pense ne
pas m’être trompé » disait d’eux, vers 1882, Arnollet de
Moutiers ;
Cette
sûreté sur la glace et le roc n’étant pas inné, ils l’avaient
acquise en multipliant les ascensions. C’est ainsi qu’en 1876,
ils gravirent seuls le Mont Pourri (3780m) réalisant la cinquième
ascension. Il n’est pas interdit de penser qu’ils le firent pour
le plaisir, mais aussi pour reconnaître les voies qui conduisent à
ce sommet dont ils furent, avec le « Père Poccard » de
Peisey, les spécialistes. Pratiquement toutes les cimes qui
culminent en Haute-Tarentaise furent gravies par les Mangard et leur
clients. En 1880, Victor avec le Greffier et E. Rochat réussirent la
première de la difficile traversée du Dôme de la Sache, l’arête
sud du Pourri et la face nord du Mont Thuria. A cette époque, cette
course aérienne était considérée comme de premier ordre.
Croz
Michel (1830-1865) appelé le « Prince des Guides ».
Grand caractère, toujours heureux à plus de 3000m, il était
originaire du Tour et fut découvert par l’Anglais W. Mathews.
Montagnard passionné, il fut admiré et préféré par tous les
alpinistes qui l’approchèrent. Sa courte existence partagée entre
les courses et le travail des champs fut bien remplie. En
1862, il fit la
première ascension du
Mont Pourri à Peisey.
Source :
(extrait du livre Mémoires d’En Haut – Histoire des Guides de
Montagnes des Alpes Françaises, Paul-Louis ROUSSET, Jacques de
Leymarie, autoédition, 1995)