Actualités

Le francoprovençal est une belle langue. Bien que ne la parlant pas , ne la comprenant pas, je reste sensible à sa musicalité lorsque les -trop rares- occasions de l'entendre se présentent. Cette langue, vulgairement surnommée patois, parlée par mes grand-parents, m'a bercée durant mon enfance. C'est pourquoi j'ai envie de la mettre à l'honneur sur ce blog. Je mettrais en ligne petit à petit les textes qu'écrivit mon grand-père Donat et que vous connaissez déjà pour les avoir lu en français.
Histoires maintes fois racontées et publiées dans la Revue Dava Rossan-na en français et en patois sous le nom d'auteur Dona Revène – Le Marmotïn – Moulïn - Péjèy

Retrouvez-les dans les archives 2015-décembre

lundi 5 octobre 2015

L'art baroque dans les églises de Savoie - Vallées de Maurienne et de Tarentaise


Au milieu du XVIe siècle, la Savoie comme le reste du monde catholique entre dans le grand mouvement de rénovation inauguré par le Concile de Trente. Voisine d'une France touchée par le protestantisme et surtout Genève devenue le foyer du calvinisme, elle va constituer un bastion du catholicisme. L'action d'ordres religieux tels les Capucins et les Jésuites se révèle particulièrement efficace comme celle de Saint-François de Sales (1567-1622), évêque d'Annecy-Genève dont la spiritualité va profondément marquer la Savoie (Introduction à la vie dévote, 1608). D'autres prélats vont s'illustrer dans cette volonté de rénovation de l'Église, en Tarentaise Benoit de Chevron-Vilette (1633-58), François Amédée Millier de Challes (1658-1703) et Claude Humbert de Rolland (1750-70), en Maurienne Pierre de Lambert (1567-91), Charles Bobba(1619-36) et Hercule Berzetti (1657-91) grand bâtisseur.

Lors des visites pastorales qu'ils doivent accomplir régulièrement dans les paroisses, outre l'enquête concernant clergé et fidèles, les évêques inspectent l'église et son mobilier et encouragent les travaux de rénovation. Dans ce domaine les Instructions pour la construction et l'ameublement des églises (1577) de saint Charles Borromée, l'une des grandes figures du Concile de Trente, à l'usage de son diocèse de Milan, vont devenir une référence essentielle grâce en particulier aux Jésuites qui assurent la diffusion. Depuis le choix de la nouvelle église, de préférence isolée sur une éminence, en passant par la décoration de l'autel jusqu'aux objets liturgiques, rien n'est omis.

Pour une large part, les églises de Savoie semblent se conformer à ces prescriptions témoignant de " l'aggiornamento " concilaire, lui-même signe d'une profonde mutation des mentalités. La spiritualité de l'âge baroque marque l'éloignement d'un Dieu transcendant rendant de plus en plus nécessaire l'intercession des saints et des anges qui occupent un rang prépondérant dans les dévotions. L'art en est le fidèle reflet qui accorde la place d'honneur au centre du retable majeur au patron de la paroisse et multiplie les représentations d'angelots qui envahissent l'espace comme au chœur de l'église de Valloire ou au retable de Champagny-en-Vanoise où l'on en a dénombré 160 !

Cependant les directives du Concile rencontrent diverses résistances : sur le plan politique, les ducs de Savoie font preuve d'indépendance vis-à-vis de Rome, mais aussi le " peuple de Dieu " qui, attaché à de vieilles pratiques maintenant dénoncées par l'Église, accepte mal de les abandonner et de voir le clergé prétendre tout contrôler.

Ceci explique la lente et tardive mise en route des chantiers de rénovation des églises dans les années 1600.

Les évêques doivent s'y prendre à plusieurs reprises pour obtenir que les travaux ordonnés soient exécutés. D'une façon significative la partie de l'édifice concernée en premier lieu par les modifications est le chœur. Au chevet semi-circulaire, souvent roman, est substitué un chevet plat qui va permettre l'édification du grand retable : ainsi en 1613 à Lanslebourg, l'un des plus anciens exemples ; mais à Landry il faut attendre 1653 pour réaliser cette première opération. Puis c'est le reste de l'église qui est peu à peu reconstruit : parfois les campagnes sont rapides mais souvent le manque de moyens nécessite de les espacer. La peste de 1630 comme les occupations étrangères rejetées que subit la Savoie n'expliquent pas toujours ces interruptions.

L'église de Termignon présente sans doute un cas exemplaire de cette succession de campagnes : à l'édifice médiéval à nef unique ont été accolées quatre chapelles aux XVe et XVIe siècles ; vers le milieu du XVIIe siècle les deux situées au Nord sont réunies pour constituer le départ d'un collatéral ; en 1669 l'abside semi-circulaire du chœur est remplacée par un chevet plat sommé d'une coupole ; en 1674 ce sont les chapelles Sud qui sont réunies pour former à leur tour un collatéral ; en 1715 la nef jusqu'alors simplement plafonnée reçoit comme les collatéraux une voûte d'arêtes et en 1717, on termine par l'adjonction d'un vestibule à l'Ouest, destiné là abriter l'entrée, nécessité dans un pays où les hivers sont rudes.

Entre 1650 et 1720 on peut constater que toutes les églises, ou presque, de Maurienne et de Tarentaise sont en chantier et le nombre modeste des édifices subsistant des périodes antérieures atteste aujourd'hui l'ampleur du changement. Un nouveau style d'architecture sur le modèle des églises romaines fait son apparition. Qu'on adopte la nef unique ou le plan basical, on utilise systématiquement la voûte d'arêtes. En Maurienne les nefs s'étirent en longueurs, les chœurs sont souvent couronnés d'une coupole ; en Tarentaise se développe l'église par la recherche d'unité spatiale ; la hauteur des collatéraux atteint celle de la nef, les piliers sont moins nombreux afin de ne pas constituer un obstacle à la vue : Aime, Doucy, Landry, Naves, Séez illustrent ce parti. L'édifice doit être correctement ajouré : les fenêtres sont ouvertes dans les parties hautes des murs pour dispenser le plus de lumière possible, les vitraux colorés étant proscrits.

À l'extérieur l'église se signale par son clocher (flèche de pierre en Maurienne, bulbe en Tarentaise) et le portail d'entrée est souvent le seul élément de décor. Si la façade principale est parfois ornée d'une peinture murale, l'aspect extérieur contraste singulièrement par sa simplicité et même sa sévérité avec la richesse de l'intérieur. La construction est en maçonnerie, la pierre de taille peu employée : le décor d'architecture est en stuc, mortier de chaux et de plâtre ou parfois uniquement de plâtre. Cette technique venue d'Italie est à l'honneur en Maurienne où se trouvent des carrières de gypse.

Les pilastres et le fort entablement qui divise en hauteur l'édifice sont les seuls éléments du décor de l'architecture à l'intérieur à l'exception de certaines églises de Mauriene (Valloire, Avrieux, Le Bourget) où de véritables sculptures ornent le chœur.

Aussi fait-on appel à des artistes pour la plupart originaires de la Valésia aux confins du Piémont et de la Lombardie, pour exécuter des peintures murales qui par leurs couleurs et leurs effets de trompe-l'œil animent les surfaces. La majorité d'entre elles ne remonte qu'au siècle dernier mais toutes ont été exécutées dans la tradition des générations précédentes. Sous le décor du XIXe siècle on a mis à jour à Villargerel un ensemble du XVIIe siècle comprenant un retable exécuté an trompe-l'œil, avec des couleurs vives dont la fraîcheur n'a pas été altérée, sur un fond imitant des tentures au point de Hongrie. Cette peinture murale n'est pas seulement décorative mais fait place aussi à l'iconographie : elle représente souvent dans des médaillons, à la voûte, les grands docteurs de l'Église, les évangélistes et parfois les prophètes de l'Ancien Testament. Quant à l'abbé Damé, curé d'Avrieux, il réalise dans les premières années du XVIIe siècle une véritable illustration du catéchisme de Trente sur les murs de son église et de ses chapelles.

Les artistes qui exécutent ces œuvres constituent de véritables dynasties où l'on se transmet de génération en génération les savoir-faire et les modèles : ainsi les ARTARI originaires du Tessin après avoir travaillé au Piémont, en Val d'Aoste viennent en Tarentaise réaliser les remarquables trompe-l'œil d'Aime, Doucy ou la Bâthie.

Mais la pièce maîtresse du décor de l'église, celle autour de laquelle tout s'ordonne, point d'aboutissement de la perspective de la nef, c'est le retable. Sa réalisation a parfois coûté aussi cher que la construction de l'église elle-même. Avec le temps il occupe une place de plus en plus grande : les modestes supports d'image de la Renaissance sont remplacés par par les œuvres toujours plus monumentales qui deviennent de véritables architectures cependant que la polychromie cède peu à peu la place à la feuille d'or, qui finit par gagner tout l'espace comme Termignon. Les grands retables, situés au fond du chœur, sont conçus à l'image d'un arc de triomphe à trois arches : dans cette division tripartite le saint patron de la paroisse occupe la place d'honneur. Le retable du XVIIe siècle apparaît puissant et structuré ; les colonnes cannelées droites supportent entablement ; vers le milieu du siècle, elles sont remplacées par les colonnes torses selon le modèle du baldaquin du Bernin (1633) à St-Pierre de Rome : Séez ou Valloire en offrent de beaux exemples. Le tabernacle entièrement doré est un Temple en réduction surmonté d'un baldaquin pour l'exposition du St-Sacrement, la présence réelle étant l'une des affirmations essentielles du Concile de Trente. Au XVIIIe siècle la rigueur de la composition architecturale s'atténue pour laisser place à des œuvres plus foisonnantes comme le retable d'Hauteville-Gondon (1732) où la " gesticulation " du baroque atteint son point culminant. Mais ici l'endoctrinement n'est pas oublié : les quatre grands docteurs saint Ambroise, saint Augustin, saint Grégoire-le-Grand et saint Jérôme sont les « colonnes » de l'Église supportant l'entablement ; le Mystère de l'Incarnation est illustré par la vie du Christ, celui de la Rédemption par les instruments de la Passion, le tabernacle proclame la présence réelle et la Trinité domine le tout. Les retables secondaires composés d'un seul panneau sont parfois aussi spectaculaires notamment ceux des confréries : à Hauteville-Gondon et à Doucy (1708) les retables du Rosaire, à Saint-Bon le retable des âmes du purgatoire (1756).

À côté des retables il faudrait évoquer les autres éléments du mobilier de l'église comme la chaire, le confessionnal qui prennent une importance particulière dans la réforme tridentine.

Ces œuvres réalisées sous le contrôle pointilleux du clergé illustrent le savoir-faire des sculpteurs, peintres, doreurs qui les exécutées. En Maurienne ils sont tous enfants du pays : la dynastie des Clappier de Bessans que l'on voit œuvrer à partir des années 1620, Claude (1606-1684) et Jean Flandin (1665-1701) de Termignon, Claude et Jean (1654-1734), Simon de Bramans, Étienne Fodéré, ce dernier travaillant en Tarentaise où les artistes sont tous " étrangés " à la vallée. À commencer par François Cuénot, auteur d'un Livre d'architecture (1659) dans lequel il explique la façon de tourner une colonne torse, et Jacques Clairant auteur de retables de Doucy, Champagny et des chaires de Conflans et Beaufort, originaires tous deux de Franche-Comté. Il y a aussi des Savoyards ; Joseph Frand, Claude-Antoine Marin, Fodéré, etc... mais la majorité d'entre eux sont originaires d'Italie du Nord et particulièrement de la Valésia : Jean-Marie Molino qui travaille à Notre-Dame-de-la-Vie, Naves saint-Bon etJean-Baptiste Guala (Peisey, Montgirod), Jacques-Antoine Todesco (Saint-Martin-de-Belleville), Joseph-Marie Martel (Hauteville-Gondon, les Vernettes)... longue est la liste.

Pendant près de deux siècles ils vont réaliser dans chaque vallée des centaines de retables, richesse et fierté des montagnards.

Avec les églises il faudrait évoquer les nombreuse chapelles et oratoires, véritables réseau quadrillant l'espace de chaque paroisse qui en compte parfois plus de vingt. Ainsi le hameau possède " son église " sur laquelle veillent jalousement les habitants qui apportent une contribution importante à sa construction, son entretien et sa décoration.

Organisés ou non en Confrérie, ils gèrent si bien leur patrimoine avec une telle volonté d'autonomie que cela n'est pas sans poser de problèmes avec le curé.

Une place à part doit être faite aux sanctuaires consacrés à la Vierge qui sont des lieux de pèlerinage particulièrement fréquentés. Situés en altitude, ils présentent une architecture originale à plan centré : Notre-Dame de la Vie à Saint-Martin-de-Belleville, Notre-Dame des Vernettes à Peisey-Nancroix, Notre-Dame de Beaurevers à Montaimont...

De l 'église paroissiale à la chapelle d'alpage en passant par l'oratoire au bord du chemin, la piété de l'âge baroque a produit en Savoie une multitude de représentations peintes et sculptées qui témoignent d'une foi ancrée dans les réalités, parfois dures, du quotidien. Les forces de la nature doivent être apaisées, domptées par l'intervention des saints, chacun ayant sa " spécialité ".

L'Église œuvre lentement à l'instauration d'un royaume de la conformité en matière de foi mais " sur le terrain " même si la piété est sincère, il lui faut compter avec des résistances. Le nouvel ordre tridentin ne coïncide pas toujours avec la vision que les montagnards ont de Dieu et de son Église.

Dominique Payre, Conservation régionale des monuments historiques
Extrait de Mon Patrimoine- Les chemins du baroque en Savoie-
Chapelles et églises des vallées de Maurienne et de Tarentaise
5-7-8 décembre 1991


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire