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Le francoprovençal est une belle langue. Bien que ne la parlant pas , ne la comprenant pas, je reste sensible à sa musicalité lorsque les -trop rares- occasions de l'entendre se présentent. Cette langue, vulgairement surnommée patois, parlée par mes grand-parents, m'a bercée durant mon enfance. C'est pourquoi j'ai envie de la mettre à l'honneur sur ce blog. Je mettrais en ligne petit à petit les textes qu'écrivit mon grand-père Donat et que vous connaissez déjà pour les avoir lu en français.
Histoires maintes fois racontées et publiées dans la Revue Dava Rossan-na en français et en patois sous le nom d'auteur Dona Revène – Le Marmotïn – Moulïn - Péjèy

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jeudi 21 juillet 2011

La maison à l’arche - Moulin

La maison, choisie pour sa beauté et sa belle taille par le couple Orgeolet, bien que peu ensoleillée, est ouverte sur la ruelle qui était autrefois l’unique route de Landry à Peisey, suivant à peu près le cours du torrent.

Elle présente 2 corps : l’habitation donnant sur un jardin, et une grange qui lui est perpendiculaire, construite sur une cour large et profonde, ouverte par une belle arche, caractéristique de cette grande maison. Cette cour pavée, qui est l’entrée commune aux gens et aux bêtes, protège une circulation de la pluie et de la neige.

Historique

Des Informations écrites n’ont pu être retrouvées qu’à partir du début du 19e siècle.
La tradition orale, recueillie auprès des voisins et de M. et Mme Donat Silvin, dit que cette maison aurait été la première du village au 13e ou 14e siècle.
Habitée par des religieux ?
Des religieux auraient habité la maison…S’agirait-il de la confrérie du Saint-Esprit, fondée à Peisey en 1504 ?...
Ce serait peut-être l’explication du décor retrouvé dans plusieurs pièces. La cuisine avec son plafond céleste, était-elle une chapelle ?
Dans l’actuelle cuisine, le plafond en plâtre presque tombé, montrait des restes sur un fond bleu lavande, de petits anges joufflus aux quatre coins et un probable « Père éternel » sur un nuage au centre.
La cheminée du salon avait été ornée de sculptures en plâtre qui n’ont pu être reconstituées.

Une auberge sous Napoléon 1er                                                                                                                                                                                                                                                                      

Elle aurait été une auberge, servant de relais aux élèves et aux visiteurs  de la première école des mines de France, créée par napoléon 1er en 1802 et qui a fonctionné jusqu’en 1815. La maison semble avoir été équipée pour cela.
La cour et l’écurie permettaient de loger des chevaux.
Il fut retrouvé un fumoir à viandes  et un puisard avec de l’eau fraiche.
La cave a la réputation d’être la meilleure cave pour « l’élevage » du fromage, à cause de l’eau courante qui y passe.             

Le révérend père Thomas

Une célébrité locale est née dans la maison.
Plusieurs livres relatent les épisodes de la vie du Père Thomas et particulièrement celui écrit par les chanoines Joseph Lale- Deriez et Frédéric Poccard-Chapuis(Ed. Aoste 1937, imprimerie Marguerettaz).
Charles, Zéphirin, Ignace Tresallet est né en 1849 de Maurice, joseph Tresallet(1823-1885) et de Marie, Rosalie Jourdan(1821-1880) qui était sa cousine germaine. De cette union naquirent six enfants dont 3 garçons morts en bas âge.
L’ainé, Charles a vécu 84 ans, mort en 1933 à Châtillon, en Italie.
A cette époque, les prêtres recrutaient les jeunes garçons les plus doués et les dirigeaient vers le petit séminaire de Moutiers, puis le grand séminaire. A Peisey de nombreux jeunes ont été ainsi orientés vers les ordres.
Charles fut ordonné prêtre en 1874.
Après une carrière religieuse brillante, il devint capucin. Il prêcha dans différentes paroisses de Tarentaise et du Val d’Aoste.
Une plaque à sa mémoire se trouve au cimetière de Peisey

Suzanne Colin raconte une anecdote

« Quand, devenu capucin, le révérend Père Thomas partit pour l’Italie, il décida de ne rien emporter. Sur le chemin vers Landry, il trouva son couteau dans une poche. Alors il remonta à Moulin pour s’en délester, puis repartit »
La famille du père Thomas était de sa famille…
Son frère et sa sœur
Son frère Jean-Baptiste Trésallet (1853-1898), instituteur à l’école laïque de Montrigon, atteint d’épilepsie, vécut avec ses parents jusqu’à leurs morts puis placé par le capucin dans un asile à Grenoble, puis à Bassens où il mourut.
Sa sœur Marie Marguerite (1856-1887) est morte à 31 ans après un essai manqué de vie religieuse dans un couvent à Grenoble.
En 1898, le père thomas, seul survivant, obtient du Vatican de vendre tous ses biens.
Capucin : Religieux d’une branche réformée de l’ordre des frères mineurs crée au 16e s. C’est un moine qui porte une bure, la robe de son ordre, ainsi que la corde à nœuds et le grand capuchon rabattu sur le dos.

Acte de vente le 8 février 1899.

Charles, Zéphirin Trésallet, missionnaire capucin, demeurant à Meylan(isère) cède et vend avec toutes garanties la généralité de ses biens, immeubles et meubles sur le territoire de Peisey et Landry, sans exception et pour la somme de 4000F., aux sœurs Trésallet Marie et Victoire, filles de Trésallet Jean.
Le père Thomas distribuera les 4000F, apportés en liquide, à ses œuvres.
En 1907, Victoire cède sa part à sa sœur Marie et meurt en 1933.
Marie Poccard Chapuis a trois filles, Marie Catherine, Marie Alphonsine et Marie Célestine ,  qui vendent la maison au couple Orgeolet le 30 aout 1938, pour la somme de 20 000F.
IL semble  que de 1899 à 1938, la maison ait été louée en trois appartements :
- Le premier comprenait l’écurie à chèvres et la grande chambre, reliées par une échelle et la trappe.
- Le second, les trois pièces du bas
- Le troisième, les 3 petites chambres du premier étage.

  

La maison fut louée de 1899 à 1938
 

La maison dans son ensemble, était donc restée très longtemps sans entretien mais, à l’origine, elle avait été conçue avec un certain souci d’élégance et de décor que l’on                                                                                                                                                                      ne retrouve dans aucune autre maison du village.
Elle fut louée.
A la famille Bertholin,
A Joseph et Zoé Gaude et leur petite fille Marcelle. Mais c’était très humide, à cause de l’eau sous les planchers et ils n’y restèrent pas longtemps.
A des ouvriers qui travaillaient sur la route en construction vers Plan Peisey (de la croix des routes à l’embranchement de la route de la forge). Ulysse Poccard Marion se souvient les entendre taper et rire très fort : ils jouaient à « lamora », sorte de poker joué avec les dix doigts.

Faits divers

La famille Orgeolet commença par construire un w-c dans la cour, près de la porte sur la ruelle. La lessiveuse qu’on utilisait et  vidait au torrent et qu’on laissait propre fut un jour emportée par des soldats pour faire …la soupe.
Dès l’été 1938, les hommes ont bêché le jardin. Quand la terre fut remontée, un bachal mis en place, que tout fut ratissé, il fut semé des graines de gazon amenées de Paris.
La nouvelle se répandit : les parisiens avaient semé de… l’herbe !
Hélas, des bassines en cuivre, de grandes marmites, les gros édredons rouges de grand-mère recouverts de guipure blanche disparurent l’hiver suivant et Diane dut se fâcher.  Il fallut renforcer les portes et boucher les issues du bas et tout se passa bien.
De temps en temps les paysans battaient le blé dans la cour, et les enfants accouraient au bruit des fléaux.
Ulysse Gontharet  mit son foin dans la grange pendant des années, en échange de très bonnes tommes de vache
                        
Un trésor

Le temps s’enfuit. Maurice et Diane passèrent bien des vacances avec leurs amis et leurs 7 enfants. Ils rendirent d’année en année cette maison plus confortable. Et même ils y trouvèrent un trésor en 1978, alors que leurs enfants recrépissaient la cour.
Chantal Orgeolet nous fait part de cette anecdote trouvée dans le journal de bord de son père Maurice :

"La cour a été entièrement repeinte au crépi coloré blanc. C’est une œuvre faite à grands renfort de grande échelle, de "caches" sur tous les bois et de "crépinette"... Ces travaux ont eu une conséquence accessoire assez exceptionnelle; en "cachant" une poutre, contre le mur du fond de la cour, à un endroit où depuis 40 ans enfants et petits enfants ont constamment grimpés, Sylvie a découvert un "trésor".
Il manquait cela à l'histoire d'une si ancienne maison.
Dans trois bourses de cuir en bien mauvais état, des pièces de bronze et d'argent, de France, d'Italie et de Suisse pour un total nominal de 54 Francs. Le monitariste constate que l'Union Latine existait dans les faits avant 1905.
L'abandon de ce trésor date d'environ 1880."

Ces pièces ont longtemps été gardées dans la maison et je crois que ma sœur Sylvie les a récupérées par la suite.

Maurice disparut en 1993,  Diane mit bientôt la maison en vente, au grand regret de ses petits enfants. Mais il y avait encore beaucoup à réparer.
           
Extraits du livret écrit en 1993 par Maurice et Diane Orgeolet,
                      parisiens, propriétaires de 1938 à 1995

Actuellement
Cette maison, qui a une âme, fut acquise par : Catherine et Arnaud de la Hougue vacanciers de longue date à Peisey qui recherchaient une maison en 1995.
Il y a 15 ans, Arnaud et Catherine, qui cherchaient à s'installer de façon indépendante, en dehors de la famille de Catherine, à Peisey, ont eu la chance, par Annie Collin, d'apprendre qu'une maison à Moulin était mise en vente. Annie, au téléphone, décrit la maison.
C’est comme un rêve qui pourrait  prendre forme. La maison est grande, pleine de charme ; elle a une histoire. Histoire ancienne et histoire récente pour tous ceux qui ont eu la chance d'y partager de bons moments, des fêtes avec les enfants Orgeolet... nombreux sont ceux qui y ont des souvenirs de jeunesse.

Il faut faire vite, la visiter, car d'autres sont intéressés... nous annonçons notre intérêt pour cette maison de l'arche et grâce à Donat Sylvain qui fait "traîner" pour les visiteurs intéressés,  lorsque nous arrivons au début de l'été, elle n'est pas encore vendue ;  nous visitons, nous tombons sous le charme, la première visite est concluante et nous nous décidons sans grande hésitation...après simplement avoir sollicité avis de quelques proches, dont certains nous ont dit "si vous ne vous décidez pas, nous, on l'achète"...
C'est ainsi que tout c'est fait très vite et que nous avons pris la suite de la famille Orgeolet....grâce au charme de cette vieille et belle maison, grâce aussi à Donat, qui connaissait bien Catherine et avait peut être envie de choisir ses futurs presque voisins.

Mais l'histoire de cette maison est pleine de surprise. En effet, c'est surprenant, mais c'est  avec Monsieur  Orgeolet qu’ il y a 66 ou 67  ans, Arnaud, petit garçon, a passé  pour la première fois des vacances dans la vallée, à Nancroix.. C'est Monsieur Orgeolet, connaissance professionnelle du père d'Arnaud,  qui lui a suggéré ce lieu de vacances.   Arnaud connaît donc la vallée depuis plus longtemps que Catherine, même s'il y a passé  moins de vacances ;  Catherine vient en vacances à Peisey depuis 1965,  ses parents ayant décidé d'y construire un chalet, la Croix de l'Arche ("le Clair du sablon" comme disent joliment certains peiserots).  Depuis, tous les étés, tous les hivers, la famille y séjourne.
C'est pour Arnaud et Catherine un double,  ancien  et fort attachement à la vallée de Peisey.

Compromis de vente signé en été,  acquisition en novembre et première vacances dès le premier hiver... le bonheur ! La maison était confortable même si, très vite, nous avons envisagé quelques travaux et des aménagements. Les seules  toilettes étaient  dans l'atelier : il fallait donc sortir dans la cour couverte, mais cela ne posait aucun problème. La maison avait beaucoup de charme, la salle de douche, ouvrant sur la cuisine ne déplaisait pas, permettant la poursuite des discussions, débats, échanges, rires pendant  vaisselle et toilettes ou  la surveillance à la fois de la cuisine et du bain des enfants...

Bien sûr, dans la maison, les plus grands doivent être vigilants et baisser la tête en franchissant certaines portes, plus d’uns s'y sont cognés et en gardent le souvenir. Il a fallu, pour d'autres, les plus vieux ou moins alertes, faire attention à la raideur des escaliers. Tout cela  donne à  cette vielle maison, dont certains disent que ce fût un "couvent", un charme formidable, beaucoup de cachet...
Assez  rapidement  nous avons fait quelques travaux pour gagner de la place et un peu de confort ; en particulier nous avons transformé l'écurie à chèvres en duplex
Pendant ces 15 années,  nombreux sont ceux qui ont  séjourné, été comme hiver, enfants, petits enfants, famille, amis, la maison permettant d'accueillir agréablement petits et grands. Pour les enfants,  cette maison  c'est un peu l'aventure  avec la grange, l' atelier,  la cour couverte et les greniers, tout cela offre mille possibilités, un merveilleux terrain de découverte, d'exploration, même s'il pleut, pas de soucis, le terrain de jeux est vaste.
 S'il fait beau, c'est en balade, ou  dans la forêt, au bord des torrents et sur les rochers pour de l'escalade que chacun se régale et bien sûr, l'hiver, pas mal d'amateurs, que ce soit pour  ski de piste ou de fonds, aux Lanches, merveilleuse vallée.
Tous apprécient les paysages, la vie locale et les girolles, les rencontres au cœur de Moulin  et les soirées  et moments partagés dans cette fameuse grange qui a permit fêtes, réunions, soirées  et rassemblements festifs autour de buffets toujours gourmands et riches de ce que chacun  souhaitait cuisiner et faire découvrir aux autres
Cette maison a vécu, elle a une histoire, elle continue à vivre et l'histoire se poursuit ; actuellement c'est Héloïse, notre fille, qui s'y est installée ; elle y vit une partie de l'année  pour tenir "le planté du bâton" bar à Plan Peisey qu'elle a ouvert cet hiver
Donc, les années passent, la famille s'agrandit, les projets prennent forme et l'amour de chacun pour la Vallée, Peisey et tout particulièrement Moulin se renforce au fil du temps. La maison de l'Arche est devenue, très vite, pour nous tous, la maison de famille, et nous aimons, été comme hiver, y séjourner (même si le temps manque et si l'éloignement limite les séjours) nous aimons retrouver Peisey, Moulin et tous ceux qui y vivent ou y séjournent...
La maison est, certes, comme d'autres vieilles  maisons   alentours, sombre. L'essentiel était de se protéger du froid, l'épaisseur des murs en témoigne. Mais l'été, le jardin fait le bonheur de tous, les groseilles y poussent à merveille, le terrain est favorable, et tous les amis et parents proches, qui ont aussi choisi de résider, à titre secondaire, à Peisey que ce soit au village, au vieux Plan ou entre deux, aiment à s'y retrouver et partager, au grand soleil, des moments familiaux, amicaux,  gourmands et festifs.

C'est donc la maison de l'Arche, maison aux mille  bonheurs pour chacun de nous et nous comprenons que les enfants ou petits enfants Orgeolet, ou certains d'entre eux, aient un pincement au cœur lorsqu'ils revoient cette maison qui a été pour eux aussi une maison du bonheur, riche en souvenirs. Si le temps passe, si la roue tourne, la maison de l'arche demeure "maison bonheur"


Texte de Catherine et Arnaud de la Hougue
                          (02 juillet 2011)

Source association Les Habitants de Moulin 
Exposition été 2011

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